Expressions françaises issues des légendes et mythologies grecques
Cette première conférence de l’année a réuni 71 Copines et Copains. Nous avions invité
madame Catherine Courtois, docteure en Archéologie et Histoire de l’art, pour nous
parler des « Expressions françaises issues des légendes et mythologies grecques ».
Le nombre de ces expressions est quasi inépuisable ; la conférencière en a choisi quatre
qu’elle a largement développées au cours de son exposé.
« Invoquer les Muses », c’est-à-dire s’adonner à l’une des activités patronnées par les
Muses. Depuis l’antiquité, les Muses inspirent les artistes comme les peintres, sculpteurs,
poètes … Homère invoque les Muses au début de l’Iliade et de l’Odyssée ; elles sont
souvent représentées en présence d’Apollon. Qui sont-elles ? Les Muses apparaissent
dans la Théogonie du poète grec Hésiode et sont neuf filles issues de neuf nuits d’amour
que la titanide Mnémosyne (à l’origine du mot « mémoire ») a passées avec Zeus.
Porteuses de joie entre les dieux et les hommes, leur art, la « Mousikê », est avant tout
l’art de chanter et de jouer un instrument, mais ouvre aussi la porte aux connaissances.
Pour les Grecs anciens, c’est ce que nous appelons aujourd’hui la « culture ». C’est
pourquoi les neuf Muses vont s’identifier à des genres littéraires ou artistiques précis dont
elles deviennent les patronnes : Calliope (« belle voix et belle apparence ») est Muse de la
poésie épique, Clio (« gloire ») de l’histoire, Euterpe (« la toute réjouissante ») de la danse
et aussi de poésie lyrique, Melpomène (« la mélodieuse ») de la tragédie, Terpsichore
(« la danseuse de charme ») de la danse et poésie légère, Erato (« l’aimable ») de lyre et
de poésie lyrique, Polymnie (« l’éloquence ») des hymnes destinés aux dieux, Uranie (« la
céleste ») d’astronomie et Thalie (« la florissante, l’abondante ») de comédie et de poésie
bucoliques. Elles sont nées en Piérie (région de la Macédoine) mais, tout en fréquentant
l’Olympe où demeure leur père, elles séjournent habituellement sur le mont Hélicon en
Béotie et sont les compagnes d’Apollon et des Grâces avec lesquelles elles forment des
chœurs. On en trouve des représentations un peu partout et la conférencière a projeté
quelques beaux témoignages représentant notamment une Muse grecque sur un rocher
tenant une lyre ainsi qu’un sarcophage en marbre avec les Muses à Rome daté du
IIIe siècle apr. J.-C. ou encore différentes mosaïques, etc.
Quant aux muses du XXe siècle dans le domaine de l’art, sont à épingler Camille Claudel
Auguste Rodin : Claudel a contribué à la création de certaines œuvres les plus célèbres
de Rodin telles que « L’âge mûr » et « La porte de l’enfer » ; Gala était à côté de Salvador
Dali pour façonner le style surréaliste et pour développer les thèmes récurrents tels que la
sexualité, la religion et la mort ; l’influence de Dora Maar se retrouve dans le choix des
sujets, la composition et l’atmosphère des tableaux de Pablo Picasso où la complexité de
leur relation amoureuse apparaît ; Elsa Triolet, à côté de Louis Aragon, n’était pas
seulement une figure emblématique de la littérature française du XXe siècle, mais était
également engagée dans la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. En science,
parmi les nombreuses « muses » aussi appelées « figures de l’ombre », on peut citer :
Marie Curie, épouse de Pierre, qui a découvert le radium et le polonium et est détentrice
de deux prix Nobel pour ses études sur la radioactivité ; Katherine Johnson,
mathématicienne et physicienne d’exception, qui a intégré la NASA en 1953 et a participé
à plusieurs missions comme Apollo 11 ; Vera Rubin, née Cooper, astronome et
découvreuse de la matière noire autour des galaxies, qui a travaillé sur des sites où
aucune femme n’avait été admise avant elle … et bien d’autres.
Le mythe des Pléiades », la plus vieille histoire partagée par l’humanité ? L’histoire des
Pléiades dans la mythologie grecque est un récit fascinant qui entrelace amour, désir et
transformation céleste. Selon cette ancienne tradition, c’étaient les filles d’Atlas, le titan
condamné à porter le ciel sur ses épaules, et de Pléioné, une nymphe de la mer. Elles
étaient sept sœurs : Maïa, Electre, Taygète, Alcyone, Céléno, Astérope et Mérope. Elles
étaient réputées pour leur beauté exceptionnelle et leur pureté, suscitant l’admiration et
parfois la convoitise des dieux comme des mortels. Chaque sœur a eu des liaisons et des
descendances avec différents dieux de l’Olympe, tissant ainsi des liens étroits entre le ciel
et la terre. Parmi les sept, Mérope, la benjamine, est la seule à avoir épousé un mortel,…
Sisyphe, dont elle a eu plusieurs fils. Elle est souvent décrite comme « sœur perdue », sa
lumière d’étoile étant considérée comme moins brillante en signe de sa pudeur ou de son
éloignement du domaine divin. En effet, la légende la plus célèbre concernant les Pléiades
est leur transformation en étoiles. Fuyant la poursuite incessante d’Orion, un grand
chasseur épris de plusieurs d’entre elles, les sœurs implorèrent les dieux de les sauver.
Ému par leur détresse, Zeus les transforma en étoiles et les plaça dans le ciel. Orion fut
également transformé en constellation par Zeus et il continue de les chasser à travers le
ciel nocturne, perpétuant leur fuite éternelle. Situé à environ 440 années-lumière de la
Terre, il s’agit d’un amas d’étoiles, également appelé les « Sept sœurs » et est le plus
proche de notre planète. La constellation du Taureau contient six étoiles mais les anciens
en comptaient sept, ce qui est dû au fait qu’une des étoiles s’est rapprochée d’Atlas au
point de se confondre avec elle.
Dans « Les Travaux et les Jours », Hésiode montre que la course des Pléiades rythme les
travaux agricoles et la navigation : « Au lever des filles d’Atlas, on doit commencer la
moisson ; à leur coucher, le labourage. Elles restent cachées quarante jours et quarante
nuits, pour ne réapparaître que quand l’année a terminé son cours et qu’on commence à
aiguiser les faucilles ». Plus tard, la « Pléiade poétique », faisant partie du Canon
alexandrin, est le nom par lequel un groupe de poètes du IIIe siècle avant notre ère se fit
connaître : il dénombrait aussi sept membres. En France, vers le milieu du XVIe siècle,
Pierre de Ronsard et Joachim du Bellay fondèrent une « Brigade idéale » de poètes afin
de former une nouvelle Pléiade. Leur objectif était de créer une belle poésie française et
de devenir immortels à travers leurs poèmes en refusant l’héritage littéraire médiéval et en
admirant la littérature antique. Ensuite, la « Bibliothèque reliée de la Pléiade », créée en
1931 par Jacques Schiffrin (français originaire d’Azerbaïdjan), consistait en une collection
à part entière de sa maison d’édition – Les Éditions de la Pléiade – fondée en 1923, le
nom de Pléiade ayant été choisi en référence aux étoiles et au groupe de poètes du
XVIe siècle ; le premier volume était consacré à Charles Baudelaire et est sorti en
septembre 1931. La collection a ensuite été intégrée aux éditions Gallimard en 1933 sous
l’influence d’André Gide et Jean Schlumberger. Schiffrin en a gardé la direction jusqu’au
début de la guerre avant d’être licencié du fait d’être juif et de s’exiler aux USA ; une légion
d’honneur lui a été remise à titre posthume. La « Bibliothèque de la Pléiade » constitue
une collection exceptionnelle, car chaque volume est consacré à un auteur ou poète
prestigieux.
« Partir à la conquête de la Toison d’or », comment s’est donc déroulé cet étonnant
mythe ? La Toison d’or était un symbole solaire ; sa conquête initiatique permettait
d’obtenir le statut de héros et, pour certains de ceux-ci, la souveraineté. Dans la
mythologie grecque, la Toison d’or est la toison de Chrysomallos, « bélier ailé » enfanté
par Poséidon. Il s’agit d’un animal merveilleux envoyé par les dieux à deux enfants,
Phrixos et Hellé, qui l’enfourchent pour échapper à leur belle-mère, Ino. Alors que Phrixos
parvient en Colchide (ancien état-royaume de Géorgie), à la cour du roi Éétès, Hellé, prise
de vertige, tombe dans la mer dans le détroit appelé Hellespont (la mer d’Hellé,
aujourd’hui mer de Marmara). Phrixos sacrifie le bélier en l’honneur de Zeus et fait cadeau
de la toison au roi Éétès, qui la suspend à un chêne et la fait garder par un dragon. Pélias,
roi d’Iolcos en Thessalie, consulta un oracle qui répondit que sa mort viendrait avec un
homme ne portant qu’une sandale. Lors d’une cérémonie à laquelle son neveu Jason
participait, il remarqua qu’il lui manquait une sandale : Jason l’avait perdue en traversant
une rivière. Pélias envoya alors Jason en Colchide et lui ordonna de ravir la Toison d’or,
pensant ne jamais le revoir. Mais Jason et l’équipage du bateau Argo revinrent victorieux
de ce périple et, avec l’aide de Médée, fille d’Éétès, il ourdit un plan pour se venger de
Pélias qui lui fut fatal. Jason et Médée furent par la suite bannis d’Iolcos et se réfugièrent à
Corinthe.
Ce mythe a un fond de réalité car on trouve effectivement de l’or (or de Colchide), de
l’argent et du fer en assez grandes concentrations sur les rives de la mer Noire. Depuis
toujours, les bergers y pratiquaient l’orpaillage en trempant une peau de mouton dans les
ruisseaux qu’ils faisaient ensuite sécher, toute dorée, sur les branches des arbres. Au
Moyen Âge, des légendes arthuriennes et la quête du Graal s’en inspirent en termes de
quêtes spirituelles et chevaleresques. L’ordre de la Toison d’or a été fondé par Philippe le
Bon, duc de Bourgogne, à l’occasion de son mariage avec Isabelle de Portugal. Le port du
collier de la Toison d’or devient obligatoire pour les chevaliers à partir de décembre 1431.
Plus tard, après la mort de Charles II d’Espagne, l’ordre est divisé entre deux branches :
celui de la maison d’Autriche et celui espagnol dont le grand maître est le roi d’Espagne.
« Avoir des yeux de lynx », une paronymie. En fait, l’expression « Avoir des yeux de
lynx » semble provenir d’une confusion entre le mot « lynx » et le nom du personnage
mythologique « Lyncée » et ne fait pas référence à l’animal du même nom. Le roi Lyncée,
à la vue exceptionnelle, fut le pilote à la tête des 56 hommes de l’équipage de la nef Argo,
bateau qui conduisit Jason vers la quête de la Toison d’or. Chacun des argonautes avait
un don et Lyncée avait obtenu celui de voir à travers les nuages et même les murs. C’est
de ce personnage de la mythologie qu’est née l’expression en question qui signifie que
l’on a une vue très perçante ou, au sens figuré, de « voir clair dans les affaires ou dans le
comportement des autres ». Notons, en passant, que le lynx n’a pas une vue
exceptionnelle ! Voilà que le mystère est percé et nous ne verrons plus cette expression
de la même façon !
Elles iront voir la mer
Pour cet événement, nous avions invité madame Anne Sylvain, comédienne, metteuse en scène et...